LA PHYSIQUE DE LA VIE

Nous choisissons pour vivre. Nous devons choisir, étant donné que cent millions d’impulsions se déversent à chaque seconde sur notre système nerveux et que si nous devions toutes les accepter nous ne tarderions pas à être submergés et à mourir de confusion. Ainsi l’énergie absorbée est-elle mesurée avec soin, de tous les millions de signaux qui nous parviennent, seuls un petit nombre atteignent le cerveau et un nombre encore plus réduit sont transmis aux zones où ils peuvent donner lieu à une prise de conscience.

Un enregistrement au magnétophone paraît toujours capter plus de bruits de fond qu’il n’en existe dans la vie réelle ; pourtant, des sons comme ceux de la circulation ou le tic-tac d’une pendule sont là tout le temps – notre cerveau ne fait que refuser de les entendre. Toute vie est sélective de la sorte. Dans l’arrière-plan de continuelle clameur, ce que Milton appelait « le lugubre chuintement universel », un organisme fait son choix. Les éléments choisis ne sont pas nécessairement les plus spectaculaires stimuli – les bruits les plus forts ou les plus brillantes lumières ; très souvent, ce sont des modifications subtiles de l’environnement, rendues remarquables uniquement par suite de leur incongruité. Du temps que je dirigeais un zoo, je fus une fois obligé de garder chez moi un couple de renards des sables. Ce sont de minuscules, de délicats animaux du désert, aux gigantesques oreilles en forme de feuilles qui frémissent et scrutent ainsi que des antennes de radar, en quête continuelle de sons nouveaux. De pesants véhicules dévalaient dans un fracas de tonnerre une rue qui longeait la maison, souvent assez bruyants pour étouffer la conversation sous leur vacarme et leurs vibrations ; pourtant, fût-ce au milieu de cette confusion, les renards étaient capables d’entendre des sons aussi faibles qu’un froissement furtif de cellophane à deux pièces de distance, et surgissaient comme par magie sur le bras de mon fauteuil afin de voir ce que j’étais en train de développer.

Les organismes vivants ne sélectionnent, à partir du barrage des ondes électromagnétiques de leur environnement, que les fréquences à même de contenir la meilleure information. L’atmosphère terrestre reflète ou bien absorbe une large part du spectre provenant de l’espace : les radiations infrarouges et ultraviolettes sont en partie éliminées ; mais la lumière visible, qui a une longueur d’onde intermédiaire entre les deux, passe presque intacte. Aussi n’est-ce point hasard que la vie soit très sensible à cette source potentiellement précieuse de compréhension. La vision humaine répond à des longueurs d’onde allant de 380 à 760 millimicrons, ce qui représente exactement l’écart de fréquences le moins affecté par la couche protectrice de l’atmosphère. Nous obtenons du cosmos une image sélective à travers un certain nombre d’étroites fenêtres de ce genre, percées dans notre système sensoriel.

On avait coutume de déclarer qu’il n’existait que cinq de ces fenêtres : celles de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Mais nos idées concernant l’architecture de la vie sont en voie de révision continuelle à mesure que nous découvrons en nous-mêmes de nouveaux sens et dans d’autres espèces de nouvelles combinaisons de ceux que nous connaissions déjà. Les chauves-souris « voient » avec leurs oreilles, construisant des images exactes de leur environnement en émettant des sons à haute fréquence et prêtant attention aux types des échos en retour. Les serpents à sonnette « voient » avec leur peau, suivant les mouvements de leur proie dans l’obscurité complète au moyen de cellules sensibles à la chaleur situées dans deux dépressions peu profondes entre les yeux. Les mouches « goûtent » avec leurs pattes, piétinant leur nourriture au préalable afin de voir si elle vaut la peine d’être mangée. Le corps entier constitue un organe sensoriel, et selon toute apparence les facultés surnaturelles, à l’examen attentif, se révèlent être des variables de ce genre, développées par une espèce particulière afin de faire face à ses propres besoins particuliers.

Dans les rivières rouges et vaseuses d’Afrique centrale habite une famille de poissons nommés les mormyridés. Ils comprennent quelques-uns des poissons d’aspect le plus bizarre qui soient au monde, allongés, l’échiné roide, avec des yeux minuscules et des hures pendantes, en trompes d’éléphant. Certains d’entre eux fouillent la vase épaisse en quête de vers ; la plupart n’opèrent que la nuit et tous ont une extraordinaire aptitude à répondre à des stimuli invisibles à l’homme. Un peigne passé à travers une chevelure s’électrifie avec une puissance de moins d’un millionième de volt ; et pourtant, si un peigne ainsi chargé est tenu près de la paroi externe d’un aquarium contenant un mormyridé, le poisson réagit violemment à l’infime champ électrique produit dans l’eau.

Le Pr Lissmann, de Cambridge, a conservé près de vingt ans une espèce de mormyridé, le Gymnarchus niloticus, et a fait de son monde étrange une étude détaillée. Malgré ses yeux dégénérés qui peuvent tout juste distinguer la différence entre la lumière et l’obscurité, ce poisson manœuvre avec précision à travers les obstacles, fonçant en flèche sur d’autres petits poissons dont il se nourrit. Lissmann a découvert que ce poisson « voit » grâce à l’électricité qu’il produit dans un organe électrique formé d’une pile musculaire située dans sa longue queue pointue. En plongeant dans l’eau une paire d’électrodes, Lissmann a constaté que le poisson émettait un courant constant de petites décharges électriques, au rythme d’environ trois cents par seconde. Durant chaque décharge, le bout de la queue devient momentanément négatif par rapport à la tête, et le Gymnarchus agit comme un barreau aimanté, produisant un champ doté de lignes de force qui en rayonnent en forme de fuseau. En eaux libres, le champ est symétrique, mais un objet proche le déforme, et le poisson le ressent comme une altération du potentiel électrique à la surface de sa peau. Les cellules sensorielles sont de petits pores situés sur la tête et remplis d’une substance gélatineuse qui réagit au champ et transmet l’information à une zone sensorielle électrique spéciale, située dans la tête, et si vaste qu’elle couvre le reste du cerveau comme une coiffe spongieuse.

Lissmann a dressé le Gymnarchus à venir chercher de la nourriture cachée derrière l’un des deux pots de céramique similaires posés à un bout de son aquarium. Le poisson ne peut voir ou sentir le contenu des pots ; mais les parois sont poreuses et, une fois plongées dans l’eau, ne présentent aucun obstacle à un champ électrique. Le Gymnarchus était capable de distinguer la différence entre de l’eau du robinet et de l’eau distillée, ou bien entre une baguette de verre d’un millimètre d’épaisseur et une autre de deux millimètres, et allait toujours chercher sa nourriture au pot qui était le meilleur conducteur. Si deux poissons ou davantage opèrent dans le même secteur, ils évitent la confusion en adoptant une fréquence légèrement différente, qui donne à chaque individu sa propre voix électrique distinctive. Quand on plonge des électrodes, reliées à un haut-parleur, dans l’eau près de la berge où les poissons se reposent pendant le jour, on peut entendre un ahurissant charivari de râles, de bourdonnements et de sifflements tandis qu’ils mènent leurs conversations électroniques.

Le Gymnarchus peut distinguer la différence entre objets vivants et inanimés, même quand le vif est tout à fait immobile. Il n’utilise pas la forme pour indice, étant donné qu’il peut distinguer un poisson vivant d’un poisson mort de la même espèce ; aussi pouvons-nous présumer qu’il répond à un genre quelconque de signal électrique. Lissmann a découvert que beaucoup d’espèces de poissons, censés n’être pas électriques, émettent en réalité de fortes décharges, et il avance l’hypothèse qu’ils sont en train d’acquérir un système électrique de localisation, ou l’utilisent peut-être déjà en complément de leurs sens normaux. Chaque fois qu’un muscle se contracte, il change de potentiel ; aussi est-il possible qu’un organisme vivant, dans lequel une activité musculaire quelconque est toujours en train de s’exercer, produise un champ assez puissant pour être décelé par un spécialiste comme le Gymnarchus. Tous les organismes fortement électriques connus vivent dans l’eau, bonne conductrice. L’air est un piètre conducteur et il faudrait une source d’énergie beaucoup plus considérable pour s’y diriger efficacement. Aucune espèce ne semble avoir trouvé qu’il valait la peine de se doter d’un pareil système ; il semble néanmoins que toutes les formes de vie peuvent produire et peut-être même déceler un faible champ électrique.

Champs vitaux

Harold Burr, de Yale, fit la démonstration des champs vitaux grâce à l’une des expériences biologiques les plus simples et les plus élégantes que l’on ait jamais réalisées. Il partit du principe de la dynamo, machine produisant de l’électricité à partir d’une source purement mécanique, telle que la chute d’eau ou le vent qui souffle. Sous sa forme la plus simple, la dynamo consiste en une armature, en général un rouleau de fil de cuivre, que l’on fait tourner au sein d’un champ magnétique en sorte qu’elle forme et rompe le champ en alternance rapide. Cela produit un courant électrique. Dans l’expérience de Burr, la dynamo consistait en une salamandre vivante, flottant dans un récipient d’eau salée. Burr supposait que la salamandre, petit amphibie qui ressemble un peu à un lézard, produisait un champ et qu’il serait en mesure d’interrompre ce champ pour donner naissance à un courant. Aussi choisit-il pour armature de l’eau salée, qui conduit l’électricité presque aussi bien que le fil de cuivre, et fit-il faire au récipient des tours et des tours autour de la salamandre flottante. Effectivement cela rompit le champ et des électrodes plongées dans l’eau ne tardèrent pas à recueillir un courant. Quand celui-ci fut introduit dans un galvanomètre afin de mesurer la charge, l’aiguille oscilla de gauche à droite, suivant le schéma régulier, négatif et positif, d’un parfait courant alternatif. Si l’on faisait tourner le récipient sans l’amphibie flottant, aucun courant ne se formait.

Ayant prouvé que même un petit animal aux mouvements assez lents produisait son propre courant électrique, Burr poursuivit en élaborant un instrument assez sensible pour mesurer le potentiel du champ. Il adapta un voltmètre standard, à tube à vide, en lui donnant une très forte résistance afin de l’empêcher de modifier le voltage en prenant le moindre courant à l’animal objet de la mensuration. Ce voltmètre, Burr l’équipa d’une graduation et de deux électrodes à chlorure d’argent parfaitement appariées. Jamais ces dernières ne sont misés en contact direct avec le spécimen que l’on mesure, mais s’en trouvent séparées par un lien de pâte spéciale ou par une solution saline de la même concentration ionique que l’organisme proprement dit.

Le premier test de Burr avec cet instrument fut pratiqué sur un certain nombre d’étudiants volontaires. Il immergea les électrodes dans deux petits récipients de solution saline où les sujets plongèrent leurs index, puis les inversèrent afin d’obtenir un résultat moyen. L’expérience fut répétée chaque jour à la même heure durant plus d’un an et Burr constata que chaque individu présentait une petite fluctuation quotidienne, mais que chez toutes les étudiantes se produisait un énorme accroissement de voltage, qui durait environ vingt-quatre heures, une fois par mois. Ces modifications paraissaient intervenir près du milieu du cycle menstruel et Burr pensa qu’elles devaient coïncider avec l’ovulation. Afin de vérifier cette idée, il se mit à opérer sur des lapines. La lapine n’a pas de cycle menstruel régulier ni de saison de reproduction, mais, conforme à sa réputation de fécondité, peut se reproduire en tout temps. Pareille à beaucoup de petits mammifères, elle est une « ovulatrice de choc ». Tout ce qui est nécessaire, c’est que le mâle soit assez brutal au cours de l’accouplement pour stimuler fortement le col (certaines espèces ont même au pénis un dard vigoureux à cet effet) et l’ovulation se produit neuf heures plus tard environ. Burr stimula artificiellement une lapine, attendit huit heures, l’ouvrit et disposa ses électrodes sur l’ovaire. Tandis que la courbe de voltage était enregistrée sans interruption, Burr observait l’ovaire au microscope. À son intense ravissement, il se produisit dans le voltage une modification spectaculaire au moment précis où il vit le follicule se rompre et libérer un ovule.

L’ovulation provoque une modification marquée au sein du champ électrique corporel. Cette découverte se confirma sur un sujet humain qui allait subir une opération mais accepta de la remettre jusqu’à ce que le voltmètre de Burr indiquât que l’ovulation était en train de se produire. Quand les ovaires de cette patiente furent dénudés à la salle d’opération, l’un contenait un follicule qui venait de se rompre. Cette découverte d’une méthode électrique pour détecter l’ovulation, méthode si simple que la patiente n’a qu’à plonger les doigts dans des bols d’eau, a été proposée en tant que système de contrôle de naissance pour les femmes qui ne peuvent se résoudre à faire confiance aux horaires lunaires d’Eugen Jonas. Les deux systèmes sont beaucoup plus sûrs que la méthode des rythmes purement mathématiques, laquelle, ainsi que bien des femmes s’en sont aperçues à leur consternation, ne tient nul compte des variations, qui peuvent être considérables, du moment de l’ovulation. La méthode de Burr est désormais utilisée aussi pour assurer la conception volontaire et pour fixer le moment de l’insémination artificielle, mais on n’en est pas resté là.

Ayant découvert qu’un champ vital existe et que les modifications qui surviennent dans ce champ ne sont pas fortuites, mais liées à des phénomènes biologiques fondamentaux, Burr se demanda si le champ serait également influencé par des dommages dus à la maladie. Il apporta son équipement chez un accoucheur et tous deux expérimentèrent sur plus de mille femmes, à l’hôpital Bellevue de New York. Dans cent deux cas, ils constatèrent un écart anormal entre l’abdomen et le col, et dans des interventions chirurgicales ultérieures pratiquées pour d’autres motifs, quatre-vingt-quinze pour cent de ces femmes se révélèrent avoir une tumeur maligne, soit au col, soit à l’utérus. Ainsi le champ vital se modifie-t-il avant même que les symptômes de la maladie ne deviennent manifestes, et une fois que ces modifications seront mieux comprises, il semble vraisemblable que ce procédé deviendra un précieux système de dépistage précoce et d’aide au diagnostic. Burr va plus loin encore : il prétend que l’écart de la réaction électrique est directement lié au taux de guérison et qu’il peut employer son voltmètre comme un genre de super-rayon X. Les cicatrices internes ne sont pas facilement visibles avec l’appareillage normal ; mais Burr a pu déterminer l’état de lésions chirurgicales uniquement en suivant les modifications survenues dans le champ vital externe.

Ce champ concerne les potentiels de courant direct, et n’a rien à voir avec les ondes cérébrales, non plus qu’avec les impulsions enregistrées par un électrocardiogramme. Toutes les fois que le cœur bat ou que le cerveau se trouve stimulé, cela produit une charge électrique mesurable ; mais le champ vital semble être l’effet de la somme totale de ces charges et de toutes les autres petites charges électriques qui se produisent en tant que résultat de phénomènes chimiques ayant lieu sans arrêt dans le corps. On peut mesurer le champ vital même en tenant les électrodes à quelque distance de la peau, ce qui indique bien qu’il s’agit d’un véritable effet de champ et non point seulement d’un potentiel électrique de surface. Le champ persiste aussi longtemps que dure la vie, en subissant chez les sujets sains de petites modifications régulières et des aberrations plus spectaculaires chez un sujet malade. Mesurées sur une longue période, l’élévation et la chute de voltage peuvent être figurées en cycles réguliers, indiquant l’époque où tel individu se trouve au mieux de sa forme, et les moments où sa vitalité est diminuée et où son efficience risque d’en souffrir. Chez une personne en bonne santé, les cycles sont tellement réguliers que l’on pourrait les utiliser pour prédire les « hauts » et les « bas » des semaines d’avance, et prévenir quelqu’un, dans une occupation risquée telle qu’une course d’automobiles, des jours où il devrait prendre un surcroît de précautions, ou même rester dans son lit. À cet égard, nous nous rapprochons de nouveau beaucoup de l’astrologie, spécialisée dans la prédiction de moments « propices » ou « défavorables » pour entreprendre tels projets particuliers ; aussi n’est-il pas surprenant de constater que les modifications du champ vital suivent un rythme cosmique.

Bien qu’il soit manifestement impossible de maintenir un homme attaché à un voltmètre durant des mois d’affilée, il existe à New Haven (Connecticut) un magnifique vieil érable qui depuis trente ans est soumis à un enregistrement continu. L’analyse de cet enregistrement montre des courbes irrégulières, produites par des perturbations électriques dues aux orages proches et les fluctuations locales du champ magnétique terrestre ; mais elle montre aussi que l’arbre répond à un rythme solaire de vingt-quatre heures, à un rythme lunaire de vingt-cinq heures, et à un plus long cycle lunaire qui atteint son apogée au moment où la pleine Lune passe au zénith. Une seule étude à long terme de ce genre a été pratiquée sur l’homme. Léonard Ravitz a réalisé des enregistrements continus pendant plusieurs mois, qui ont montré que le champ vital atteint une valeur positive maximale à la pleine Lune et une valeur négative maximale deux semaines plus tard, à la nouvelle Lune. Nous savons que les passages du Soleil, de la Lune et des planètes produisent tous des variations dans les conditions magnétiques qui altèrent radicalement le champ terrestre. Et nous savons maintenant que les êtres vivants ont leurs propres champs, qui sont à leur tour influencés par les changements de conditions de la Terre. La boucle est bouclée. Voilà un mécanisme naturel et mesurable qui peut expliquer le rapport entre l’homme et le cosmos. Le surnaturel cède le pas à la Surnature.

L’idée de posséder un champ électrique que nous ne pouvons ni voir, ni entendre, ni goûter, est en elle-même assez mystérieuse ; aussi vaut-il la peine d’expliquer qu’un champ n’existe pas en propre. Il ne s’agit que d’une zone où certains phénomènes se produisent. Si on introduit une charge électrique dans un champ électrique, des forces agiront sur elle. Chaque atome porte une charge électrique et se trouve donc affecté par l’action du champ d’un organisme. Même un animal simple, à cellule unique, tel que l’euglène, a son propre champ et édifie sa structure au moyen d’atomes et de molécules, modifiant son champ en incorporant leurs charges. Aussi un organisme complexe a-t-il un champ composite, somme de tous ses éléments constitutifs. Ce champ peut être mesuré comme un tout pour obtenir la « saveur » de la structure entière, ou l’on peut effectuer des mensurations séparées d’organes et peut-être même de cellules individuelles au sein de l’organisme. Chaque élément constitutif a sa fonction propre et développe son propre potentiel en tant que résultat de cette fonction. Burr a étudié ces différences, ce qui l’a amené à une excitante découverte.

Il introduisit des micro-électrodes dans un œuf de grenouille nouvellement pondu et trouva que, avant même que l’œuf ne commençât de se diviser et de se développer en un têtard, il put mesurer des différences de voltage dans les parties de l’œuf destinées à devenir le système nerveux. Le matériau de l’œuf qui finirait par servir à la fonction de communication manifestait déjà le voltage caractéristique de cette partie de l’organisme. Cela laisse à penser que le champ vital a une faculté organisatrice, qu’il est en quelque sorte un patron qui fixe la forme et la fonction de l’organisme en voie de développement. Edward Russell s’est emparé de cet exemple unique d’anticipation, et l’a développé dans une thèse qui vient de paraître sous le titre Design for Destiny. Russell envisage ce champ comme un mécanisme intégrateur qui non seulement modèle l’organisme, mais continue à vivre après sa mort, en. tant qu’âme.

Il serait magnifique de découvrir la preuve scientifique de l’âme, ainsi que l’annonce la publicité de couverture du livre de Russell ; mais je regrette que tel ne soit pas le cas. Burr a pris à partir de l’œuf de grenouille des mensurations qui lui ont permis de prédire où se formerait le futur cordon nerveux ; toutefois, il ne prétend à aucun moment que le champ vital de l’œuf était identique à celui de la grenouille adulte. Il devrait être le même s’il existait avant la grenouille en tant que patron, vivait avec elle en tant qu’intelligence, et lui survivait en tant qu’âme. Toutes les indications dont nous disposons vont dans le sens opposé. Burr a montré qu’une modification du champ vital par rapport à la normale était signe d’une maladie à peine débutante, mais il n’a certainement jamais prétendu que cette modification du champ produisait la maladie. Au contraire, ses travaux démontrent que le champ vital est essentiellement un produit de la vie, fournissant une image-reflet électronique exacte où certains détails sont détectables avant de devenir apparents à nos autres sens. La vie produit le champ vital et, quand la vie meurt, le champ meurt avec elle. Le Gymnarchus ne peut distinguer un poisson mort d’un modèle en cire.

Au cours de son existence, tout changement qui survient dans un organisme est reflété par un changement dans son champ. C’est ce que Burr a trouvé grâce à une autre expérience précise. Quand on croise deux souches pures de maïs, elles produisent un épi contenant un mélange de graines pures et hybrides. Celles-ci paraissent identiques et ne diffèrent intérieurement que dans la disposition d’un seul petit gène, que l’on ne peut distinguer fût-ce au microscope électronique. Pourtant Burr a montré qu’elles avaient des potentiels électriques différents et il a été en mesure de trier sans erreur les graines en pures et en hybrides, en se servant uniquement de son voltmètre. Voilà qui nous évoque les astrologues prédisant avec succès des événements de la vie ultérieure sur la seule base de l’horoscope et il vaut la peine de poursuivre l’analogie. La mensuration du potentiel électrique est pareille à l’identification d’un signe ascendant : l’une et l’autre sont indicatrices d’un type d’événements, mais aucune en soi ne constitue un facteur déterminant. Le champ vital représente une découverte capitale ; et pourtant, il ne s’agit pas du secret de la vie, ni de la survie après la mort. C’est davantage un moyen en vue d’une fin, une clé pour la compréhension de la Surnature.

Ces recherches sur la vie et l’électricité ont entre autres conduit à une théorie qui pourrait expliquer comment la vie se trouve influencée par des phénomènes extérieurs à notre système solaire. En même temps que la lumière provenant des étoiles, nous recevons une équivalente quantité d’énergie sous la forme de rayons cosmiques de très courte longueur d’onde. La plupart de ces derniers sont absorbés dans l’atmosphère où leur énergie sert en partie à transformer l’acide carbonique en l’isotope radioactif carbone 14, lequel entre dans tous les êtres vivants et nous fournit un moyen de dater de nombreux fossiles. Le reste de l’énergie de ce bombardement cosmique entre dans l’ionisation de l’air, ce qui résout les gaz en atomes porteurs de charges électriques. Cet air chargé se groupe à près de cent kilomètres au-dessus de la surface terrestre en une couche nommée l’ionosphère, qui reflète les plus longues ondes radio et nous permet, à nous qui sommes au sol, d’envoyer des signaux radiophoniques par-delà l’horizon en les faisant rebondir sur cet invisible plafond.

Une partie de l’air ionisé s’infiltre jusqu’à des couches inférieures de l’atmosphère en tant qu’ozone, lequel a sur la vie un effet marqué. À une dose de seulement une partie pour quatre millions de parties d’air, l’ozone tue de nombreuses bactéries, et on l’injecte parfois à cet effet dans le conditionnement d’air des mines et des chemins de fer souterrains. Nous pouvons détecter l’ozone sous cette concentration à son odeur fraîche, un peu marine, mais nous percevons aussi l’air ionisé à des concentrations beaucoup plus faibles et pouvons même distinguer entre charges positives et négatives. L’air où dominent les ions positifs exerce un effet dépressif sur l’homme, tandis que les ions négatifs ont tendance à être plus stimulants. Nous n’aurions aucun moyen de faire des distinctions de ce genre si nous n’étions nous-mêmes porteurs d’une charge électrique, laquelle ou bien attire, ou bien repousse les particules qui nous entourent. Ravitz a montré que nos champs ont une charge positive à la pleine Lune, en sorte qu’à cette époque nous attirerions à nous les ions négatifs avec effet excitant. Ce qui fournit une élégante explication au fait que les caractères psychotiques entrent à cette époque dans leurs phases maniaques et que tout le monde saigne plus facilement à la pleine Lune. Le champ vital forme un mécanisme idéal pour nous relier aux événements cycliques de notre environnement.

La Lune produit des marées dans l’eau, l’air et la terre, lesquelles altèrent le champ magnétique, ce qui à son tour affecte la charge de nos champs vitaux. Pour accentuer ce changement et nous rendre encore plus conscients du rythme lunaire en tant que chronomètre de base, les rayons cosmiques produisent l’air ionisé, qui réagit sur notre champ et accentue nos réponses. Nous sommes sensibles à la Lune, mais cette sensibilité est elle-même modifiée par des événements qui proviennent d’une distance de nombreuses années-lumière. Une fois de plus, nous découvrons de complexes relations mutuelles qui rendent la Terre et tous ses êtres vivants partie intégrante du cosmos.

À l’extrémité opposée du spectre, par rapport aux minuscules rayons cosmiques, il existe de très longues ondes dont les origines semblent être, elles aussi, extérieures à notre système solaire. La fréquence de ces ondes se mesure en infimes fractions de cycle par seconde, leur longueur d’onde étant de millions de kilomètres, et leur énergie est faible au point d’être à peine mesurable ; pourtant, il semble que notre organisme en ait conscience. Une étude effectuée en Allemagne sur cinquante-trois mille personnes a révélé qu’elles réagissaient plus lentement à des stimuli normaux au passage d’ondes de cette longueur. Il est hautement significatif que la courbe de ces ondes à très basse fréquence soit presque impossible à distinguer des courbes qu’un électroencéphalographe enregistre dans le cerveau humain.

Ondes cérébrales

L’électrophysiologie naquit au milieu du XVIIIe siècle, peu de temps après que l’on eut disposé de méthodes pour produire de l’électricité. D’abord, les expériences furent assez folles : on rapporte que Louis XV, à ses moments perdus, « fit administrer à sept cents moines chartreux joints par les mains un choc électrique provenant d’une pile de bouteilles de Leyde, avec un effet prodigieux ». Ensuite, on commença à soupçonner que non seulement tous les tissus vivants étaient sensibles aux courants électriques, mais que le tissu lui-même produisait de petits voltages, qui se modifiaient spectaculairement lorsqu’il était lésé ou qu’il entrait en activité. En 1875, un médecin anglais découvrit que le cerveau produisait lui aussi des courant de cette sorte. Les premières expériences furent pratiquées sur les cerveaux découverts de grenouilles et de chiens, mais sitôt que l’on eut inventé un appareillage plus sensible, les recherches commencèrent pour de bon sur des animaux intacts et sur des hommes. En 1928, Hans Berger découvrit que le courant produit par le cerveau n’était pas constant, mais s’écoulait en un système d’ondes rythmique, ce qu’il démontra sur son Elektren-kephalogram.

Aujourd’hui, l’unique ligne tremblée de Berger a été brisée en de nombreux composants par des instruments capables de détecter des fluctuations aussi réduites qu’un dix-millionième de volt. Pour donner quelque idée du caractère infime d’un tel courant, il en faudrait environ trente millions pour allumer une petite ampoule de lampe de poche. Quatre types rythmiques fondamentaux sont cachés dans la confusion de ces très subtils stimuli ; ils ont été nommés alpha, bêta, delta et thêta. Les rythmes delta sont les plus lents, s’écoulant entre 1 et 3 cycles par seconde, et sont le plus prépondérants dans le profond sommeil. Les rythmes thêta sont ceux qui possèdent une fréquence de 4 à 7 cycles par seconde, et qui semblent être liés à l’humeur. De 8 à 12 cycles sont les rayons alpha, qui se produisent le plus souvent dans la méditation détendue et sont brisés par l’attention. Quant aux rythmes bêta, entre 13 et 22 cycles par seconde, ils paraissent confinés à la zone frontale du cerveau, où ont lieu de complexes processus mentaux.

Les recherches primitives concernant ces rythmes étaient limitées à de simples expériences comme l’effet de l’ouverture et la fermeture des yeux, du calcul mental ou de la prise de drogues, mais les résultats restaient fort maigres. Pour en découvrir davantage sur le rayon d’action et sur la sensibilité du cerveau, Grey Walter et ses collègues décidèrent en 1946 d’essayer d’imposer par l’intermédiaire des sens de nouveaux modèles aux rythmes cérébraux existants. Ils commencèrent par projeter à intervalles réguliers une lumière dans les yeux du sujet, et constatèrent que ce papillotement produisait de nouvelles et étranges courbes sur les graphiques. À certaines fréquences, le clignotement provoquait aussi des réactions violentes chez le sujet, soudain saisi par ce qui semblait être une crise d’épilepsie.

Walter s’empressa alors d’étudier les ondes cérébrales normales, au repos, d’épileptiques connus, et s’aperçut que leurs rythmes cérébraux se trouvaient groupés selon certaines fréquences. « C’était comme si certains accords principaux apparaissaient constamment superposés aux trilles et arpèges de l’activité normale. » Ce groupement harmonique fit supposer à Walter que la seule chose nécessaire pour obtenir des rythmes qu’ils se synchronisent en une explosion formidable, c’était un coordinateur externe, un chef d’orchestre apte à réunir en une grandiose convulsion simultanée les accords séparés. Un clignotement au niveau du rythme alpha, entre 8 et 12 cycles par seconde, joua précisément ce rôle chez les épileptiques, permettant de provoquer une crise à n’importe quel moment. Cette technique est devenue un précieux moyen de diagnostic de l’épilepsie, mais on a de plus découvert qu’un grand nombre de gens par ailleurs normaux présentent sous certaines conditions une réaction similaire.

Walter examina des centaines de gens qui n’avaient jamais eu d’accès ou de crise d’aucune sorte, et constata qu’environ une personne sur vingt réagissait à un clignotement soigneusement adapté. Ces sujets éprouvaient « des sensations bizarres », un malaise ou des vertiges ; certains perdaient conscience quelques instants, ou leurs membres se mouvaient par saccades au rythme de la lumière. Sitôt qu’une sensation de ce genre était constatée, on arrêtait le papillotement pour éviter une convulsion complète. Chez d’autres sujets, le clignotement devait être exactement harmonisé avec le rythme cérébral pour produire un effet. Un circuit de réaction, où la lumière clignotante était effectivement allumée par les signaux cérébraux eux-mêmes, provoquait d’immédiates crises d’épilepsie chez plus de la moitié des personnes soumises à l’expérience.

Conduire au long d’une avenue bordée d’arbres, où le Soleil clignote entre les troncs à un certain rythme, peut se révéler fort dérangeant. On rapporte qu’un cycliste perdit à plusieurs reprises connaissance en passant par une route de ce genre pour rentrer chez lui. Dans son cas, un moment d’inconscience l’empêchait de pédaler, le faisant ralentir à une vitesse où le clignotement cessait de l’affecter, et il revenait à lui à temps pour éviter de tomber. Mais une automobile a plus d’élan, et il y a des chances qu’elle continue d’aller à la vitesse critique, ce qui peut influencer le conducteur assez longtemps pour lui faire perdre tout à fait contrôle. On ne sait pas combien d’accidents mortels se sont produits de la sorte.

Dans un autre cas, un homme s’aperçut que chaque fois qu’il allait au cinéma, il était pris d’un désir aussi soudain qu’incoercible d’étrangler la personne assise à côté de lui. Une fois, il lui arriva même de reprendre ses esprits pour découvrir qu’il avait les mains serrées autour de la gorge de son voisin. Quand on lui fit subir le test, on s’aperçut qu’il avait de violentes secousses des membres lorsque le clignotement était fixé à vingt-quatre cycles par seconde, ce qui est exactement le rythme d’un film tourné à vingt-quatre images par seconde.

Les implications de cette découverte sont énormes. Nous sommes tous les jours exposés à des clignotements variés et courons des risques de maladie ou de crises fatales. Le taux de clignotement des lumières fluorescentes, entre 100 et 120 par seconde, est trop élevé pour provoquer des convulsions, mais qui sait quel effet cela risque d’avoir sur ceux qui s’y trouvent exposés durant plusieurs heures chaque jour ? La Société britannique d’acoustique s’est inquiétée de la vibration à basse fréquence produite par les véhicules à moteur tournant à vitesse constante. Ces « infrasons » se situent au niveau de 10 à 20 cycles par seconde, ce qui se trouve au-dessous de la limite de l’ouïe humaine, et cependant ils peuvent nous affecter de la même façon que des clignotements lumineux. La Société attire l’attention sur les manifestations d’imprudence ou d’euphorie que risquent de provoquer ces sons : diminution d’efficacité, étourdissements par perte d’équilibre. Elle estime que les infrarouges sont responsables des écarts que commettent certains conducteurs de l’autre côté de la ligne médiane des autoroutes, apparemment tout à fait oublieux des dangers de la circulation inverse, et que des vibrations peuvent être l’explication d’un grand nombre d’accidents autrement incompréhensibles.

Un ingénieur, le Pr Gavraud, faillit renoncer à son poste dans un institut marseillais, car il avait toujours des malaises en travaillant. Il renonça à partir en découvrant que ses crises récurrentes de nausées ne le prenaient que dans son bureau, au sommet de l’immeuble. Présumant qu’il se trouvait dans la pièce quelque chose qui le dérangeait, il essaya de le dépister grâce à des appareils sensibles à diverses substances chimiques, et même avec un compteur Geiger ; mais il ne trouva rien jusqu’au jour où, découragé, il s’adossa contre le mur. La pièce entière vibrait à une très basse fréquence. La source de cette énergie se révéla être une installation de conditionnement d’air située sur le toit d’un bâtiment de l’autre côté de la rue, et le bureau de notre ingénieur avait la forme et la distance qu’il fallait par rapport à la machine pour résonner en harmonie avec elle. C’était ce rythme, de sept cycles par seconde, qui rendait malade le professeur.

Fasciné par le phénomène, Gavraud décida de construire des machines à produire des infrasons afin de poursuivre son enquête. En cherchant des objets susceptibles de lui servir, il s’aperçut que le sifflet à roulette que l’on distribue à tous les gendarmes français produisait tout un éventail de sons à basse fréquence. Aussi construisit-il un sifflet de police de près de deux mètres de long, et l’actionna-t-il à l’air comprimé. Le technicien qui fit le premier essai du sifflet géant tomba mort sur-le-champ. L’autopsie révéla que tous ses organes internes avaient été broyés en une gelée amorphe par les vibrations.

Gavraud poursuivit ses travaux avec plus de circonspection et procéda au grand air à l’expérience suivante, après avoir mis tous les observateurs à l’abri de la machine dans un bunker en béton. Quand tout fut prêt, on brancha lentement l’air – et l’on brisa les carreaux de tous les immeubles dans un rayon de huit cents mètres autour du lieu de l’expérience. Par la suite, les chercheurs apprirent à contrôler avec plus d’efficacité l’amplitude du générateur d’infrasons et conçurent une série de machines plus petites en vue de travaux expérimentaux. L’une des plus intéressantes découvertes, à ce jour, est que les ondes de basse fréquence peuvent être dirigées et que deux générateurs braqués sur un point particulier, fût-ce à huit kilomètres de distance, produisent une résonance capable de démolir un immeuble avec autant d’efficacité qu’un tremblement de terre de première importance. On peut construire à très bas prix ces machines à fréquence 7, dont il est possible de se procurer les plans pour trois francs au Bureau des brevets de Paris.

Voilà maintenant bien des années que les ondes sismiques sont enregistrées de la même façon que les ondes cérébrales. On a élaboré des sismographes assez sensibles pour recueillir les vibrations du sol que nous sommes dans l’incapacité de percevoir consciemment. Ces enregistrements révèlent quand des tremblements de terre ont lieu, fût-ce à l’autre bout du monde. Durant le tremblement de terre au Chili de mai 1960, par exemple, la planète entière retentit comme un gong d’oscillations d’ondes longues, ayant des périodes qui atteignaient une heure. Mais on a maintenant découvert qu’un tremblement de terre est en outre accompagné, et précédé, de périodes de vibrations à basse fréquence, situées au niveau de sept à quatorze cycles par seconde. Elles commencent plusieurs minutes avant les premiers chocs manifestes du tremblement lui-même, et fournissent un système d’alarme auquel beaucoup d’espèces paraissent réagir. C’est pourquoi les Japonais, qui vivent en plein sur un système de fracture, ont toujours élevé des poissons rouges. Quand les poissons commencent à nager frénétiquement de droite et de gauche, leurs propriétaires se précipitent au-dehors à temps pour éviter d’être pris au piège par la chute de maçonnerie. Les poissons possèdent l’avantage de vivre au sein d’un milieu bon conducteur de vibrations ; pourtant, même les animaux qui vivent dans l’air sont capables de percevoir les signaux avertisseurs. Des heures avant un tremblement de terre, on a vu des lapins et des cervidés terrorisés fuir les zones d’épicentre. Certaines personnes, en particulier des femmes et des enfants, sont également sensibles à ces fréquences.

Le fait que les fréquences coïncident avec celles qui agitent et rendent malade expliquerait la frayeur sauvage, irraisonnée, qui accompagne un tremblement de terre. F. Kingdon-Ward a survécu à la grande secousse de l’Assam en 1951, et décrit les sentiments qu’il éprouva sur le moment. « Soudain, après le plus léger tremblement (ressenti par ma femme, mais non par moi), il se produisit un bruit épouvantable et la terre se mit à frissonner violemment, les contours du paysage, visibles contre le ciel étoilé, se brouillèrent – chaque arête, chaque arbre flous – comme s’il se mouvait rapidement de haut en bas… le premier sentiment d’ahurissement – un étonnement incrédule que ces collines à l’aspect robuste fussent la proie d’une force qui les secouait comme un terrier secoue un rat – céda bientôt la place à la terreur absolue. » Il s’agissait là d’un tremblement de terre de première importance où ils étaient en grand péril ; pourtant les sentiments de terreur semblent n’avoir aucun rapport avec l’ampleur de la secousse. Je me souviens d’avoir couru dehors au cours d’un petit tremblement de terre en Crète, en 1967, et, en dépit du fait que j’étais en parfaite sécurité à l’extérieur et que ce qui se passait me fascinait, d’avoir éprouvé une peur irrationnelle si profonde que je fus dans l’incapacité de dormir à l’intérieur durant plus d’une semaine.

Des vibrations d’une fréquence trop basse pour être entendues pourraient expliquer les sentiments de dépression et de frayeur qui semblent s’attacher à certains lieux. Beaucoup de gens se sentent intensément mal à leur aise dans l’île de Santorin, au sud de la mer Égée, et peu de visiteurs y séjournent plus d’un jour ou deux. Cette île, que certaines personnes croient aujourd’hui être le site de l’ancienne Atlantide, fut le théâtre d’une éruption violente en 1450 av. J.-C. et la victime d’un tremblement de terre en 1956. Depuis le récent désastre, on y a établi une station sismologique qui signale un constant courant sous-jacent de murmures à très basse fréquence. La terre exprime ses mises en garde d’une voix douce et basse.

Une découverte inattendue a été faite à la suite du tremblement de terre de Tachkent en 1966. Dès un an avant la secousse, les savants avaient été surpris de constater des concentrations croissantes du gaz inerte argon dans l’approvisionnement d’eau de la ville, qui provient de profonds puits artésiens. Le 25 avril, le phénomène avait atteint quatre fois son niveau normal, et le 26, le tremblement de terre éclata. Le lendemain du désastre, le taux d’argon était revenu à la normale. La raison de ce changement n’est pas connue, mais il constitue encore un de ces indices invisibles à quoi la vie pourrait être bien capable de réagir comme par enchantement.

L’unique chose qu’aient en commun les tremblements de terre, les marées atmosphériques et les rayons cosmiques, c’est que tout cela opère à très basse énergie et émet des signaux d’une extrême ténuité. L’aptitude apparemment surnaturelle de la vie à réagir à des stimuli comme la position de la Lune invisible, la concentration d’ions invisibles, et l’infime influence magnétique d’une planète à l’horizon, tout cela peut être attribué à un seul phénomène physique : le principe de résonance.

Résonance

Si l’on fait sonner un diapason conçu pour produire une fréquence de 256 cycles par seconde (à savoir le do moyen) n’importe où près d’un autre diapason possédant la même fréquence naturelle, le second se mettra à vibrer doucement en accord avec le premier, même sans être touché. De l’énergie a été transmise de l’un à l’autre. Un insecte sans oreilles serait dans l’incapacité d’entendre le son du premier diapason, mais s’il était posé sur le second, il ne tarderait point à prendre conscience de la vibration – et par conséquent d’événements se produisant par-delà sa sphère normale. C’est tout le problème de la Surnature.

Un événement qui se produit dans le cosmos déclenche la vibration d’ondes électromagnétiques, qui voyagent à travers l’espace et créent une vibration équivalente par résonance avec une partie quelconque de la Terre qui possède la même fréquence naturelle. La vie peut réagir à ces stimuli de façon directe, mais plus souvent elle réagit en résonnant en sympathie avec une partie de son environnement immédiat. Une lumière s’allumant à la même fréquence qu’un rythme cérébral produit une résonance et des effets alarmants, même si le clignotement risque d’être trop rapide pour que nous le distinguions. Un très faible champ électrique ou magnétique devient perceptible du moment qu’il résonne à la même fréquence que le champ vital de l’organisme qui y réagit. De la sorte, des stimuli infimes, trop faibles pour faire aucune impression sur les sens normaux, sont agrandis et portés à notre conscience. Le surnaturel devient partie intégrante de l’histoire naturelle.

Dans la plupart des instruments de musique, le son est produit par des cordes, des membranes tendues, des baguettes ou des anches, et dans tous une importante partie est une structure qui accroît la zone de contact que ces vibrateurs ont avec l’air : Une corde de guitare a une caisse de résonance et une anche de clarinette a un tuyau.

La forme de la structure détermine la façon dont résonnera l’air et la qualité du son. Forme et fonction sont très étroitement liées, non seulement pour l’émetteur du signal, mais aussi pour le receveur. Pour que l’auditeur entende le son comme il faut, il ne doit pas s’installer dans une salle de mauvaise forme ni porter un casque de football.

En dernier ressort, la sensibilité au son dépend des vibrations établies dans le liquide de l’oreille interne, mais le son doit d’abord être recueilli par l’oreille externe. Chez l’homme, le passage entre la caisse du tympan et le monde extérieur est en forme de cheminée, dont les parois font un angle d’environ trente degrés par rapport au tympan : exactement l’angle qui convient le mieux à l’amplification des sons situés dans la gamme critique. Le plus répandu, et donc vraisemblablement le plus efficace, des cornets acoustiques à l’ancienne mode présente aussi cet angle de trente degrés. Évidemment cela pourrait n’être qu’une coïncidence, mais j’en doute.

Naturellement, le son est une vibration qui ne peut être transmise que par un milieu élastique ; il ne peut voyager à travers le vide. Les ondes électromagnétiques, elles, se propagent à travers l’espace libre, et nous en savons beaucoup moins sur les facteurs qui gouvernent leur résonance. Il existe néanmoins un indice tout à fait extraordinaire, suggérant que la forme pourrait être importante dans la réception des stimuli cosmiques eux-mêmes. Il provient de ces objets favoris des mystiques à travers les âges : les pyramides égyptiennes.

Les pyramides, sur la rive occidentale du Nil, furent édifiées par les pharaons en tant que tombes royales, et datent d’environ 3 000 avant J.-C. [6]. Les plus célèbres sont celles de Guizèh, bâties durant la quatrième dynastie, et dont la plus grande est celle qui abritait le pharaon Khoufou, plus connu sous le nom de Chéops. On l’appelle aujourd’hui la Grande Pyramide. Il y a quelques années, elle fut visitée par un Français nommé Bovis, qui s’abrita du soleil de midi dans la salle du pharaon, située au centre de la pyramide, exactement au tiers à partir de la base. Bovis trouva là une humidité insolite ; mais ce qui le surprit véritablement, ce furent les boîtes à ordures qui contenaient, parmi les habituels déchets touristiques, les corps d’un chat et de quelques petits animaux du désert qui s’étaient égarés dans la pyramide et y étaient morts. Malgré l’humidité, aucun d’eux ne s’était décomposé, mais ils s’étaient seulement desséchés comme des momies. Bovis commença de se demander si, après tout, les pharaons avaient été si bien embaumés que ça par leurs sujets, ou s’il y avait quelque chose, dans les pyramides elles-mêmes, qui préservait les corps en état de momification.

Bovis fabriqua une maquette exacte de la pyramide de Chéops et la disposa, comme l’original, avec ses lignes de base faisant exactement face aux directions nord-sud et est-ouest. À l’intérieur de la maquette, au tiers en direction du haut, il plaça un chat mort. Ce dernier se momifia et Bovis en conclut que la pyramide favorisait la déshydratation rapide. Des rapports sur cette découverte attirèrent l’attention de Karel Drbal, ingénieur de radio à Prague, qui répéta l’expérience avec plusieurs animaux morts et conclut : « Il existe un rapport entre la forme de l’espace à l’intérieur de la pyramide et les processus physiques, chimiques et biologiques effectués au sein de cet espace. En utilisant des formes et structures appropriées, nous devrions être en mesure de faire se dérouler plus vite ou de retarder les processus. »

Drbal se souvint d’une vieille superstition qui prétendait qu’un rasoir laissé au clair de lune s’émoussait. Il essaya d’en mettre un dans sa maquette de pyramide, mais rien ne se produisit ; aussi continua-t-il de se raser avec jusqu’à ce qu’il fût émoussé, puis le replaça dans la pyramide. Il redevint affilé. Il est encore malaisé de se procurer une bonne lame de rasoir en de nombreux pays de l’Europe de l’Est ; aussi Drbal essaya-t-il de breveter et mettre sur le marché sa découverte. Le Bureau des brevets de Prague refusa de la prendre en considération jusqu’à ce que son spécialiste scientifique en chef eût tenté lui-même de construire une maquette et constaté qu’elle fonctionnait. Ainsi l’affûteur de lames de rasoir « Pyramide de Chéops » fut-il enregistré en 1959 sous le numéro de brevet 91 304 de la République tchécoslovaque et une usine ne tarda pas à fabriquer des pyramides miniature en carton. Aujourd’hui, elles sont faites en matière plastique.

Le fil d’une lame de rasoir a une structure cristalline. Les cristaux sont presque vivants, en ce qu’ils se développent en se reproduisant eux-mêmes. Lorsqu’une lame s’émousse, une partie des cristaux du tranchant, où ils n’ont qu’une seule couche d’épaisseur, se trouve ôtée par frottement. En théorie, il n’y a pas de raison pour qu’avec le temps ils ne se remplacent pas d’eux-mêmes. Nous savons que la lumière solaire a un champ orienté dans toutes les directions ; néanmoins la lumière solaire, réfléchie par un objet tel que la Lune, est polarisée en partie et vibre surtout dans une seule direction. On peut concevoir que cela serait capable de détruire le fil d’une lame laissée exposée à la Lune, mais cela n’explique pas l’action inverse de la pyramide. Nous pouvons seulement supposer que la Grande Pyramide et ses imitations réduites jouent le rôle de lentilles concentrant l’énergie ou de résonateurs qui la recueillent, et que celle-ci encourage le développement du cristal. La forme même de la pyramide ressemble beaucoup à celle d’un cristal de magnétie ; aussi peut-être édifie-t-elle un champ magnétique. Je ne sais pas la réponse, mais ce que je sais, c’est que cela marche. Jusqu’ici, mon record avec les lames Wilkinson-Sword est de quatre mois d’usage quotidien continu. J’ai l’impression que les fabricants ne vont pas du tout aimer ça.

Essayez vous-même. Découpez quatre morceaux de carton fort en triangles isocèles ayant la proportion base-côtés de 15,7 à 14,94. Collez-les ensemble au ruban adhésif en sorte que la pyramide se dresse à une hauteur de 10,0 exactement des mêmes unités. Orientez-la de façon précise en sorte que les lignes de base soient face aux nord-sud et est-ouest magnétiques. Faites un support haut de 3,33 unités, et placez-le juste sous le sommet de la pyramide afin de soutenir vos objets. Les tranchants de la lame doivent faire face à l’est et à l’ouest. Maintenez le tout loin des appareils électriques.

J’ai constaté que la vitesse de déshydratation des matières organiques dépend beaucoup de la substance en cause et des conditions météorologiques. À cela on se serait attendu ; cependant, j’ai tenté de garder les mêmes objets – œufs, rumsteck, souris crevées – à la fois dans la pyramide et dans une boîte à chaussures ordinaire ; or, ceux de la pyramide se conservèrent tout à fait bien tandis que ceux de la boîte ne tardèrent pas à sentir et il fallut les jeter, cela m’oblige à conclure qu’une réplique en carton de la pyramide de Chéops n’est pas qu’une disposition fortuite de morceaux de papier, mais possède effectivement des propriétés particulières.

Il existe un fascinant post-scriptum à cette histoire de pyramide. En 1968, une équipe de savants des États-Unis et de l’université Ein Shams du Caire s’attela à un projet d’un million de dollars en vue de radiographier la pyramide de Chéphren, successeur de Chéops. Ils espéraient trouver de nouvelles sépultures cachées dans les six millions de tonnes de pierre en plaçant des détecteurs dans une chambre située à la base, et en mesurant la pénétration des rayons cosmiques, la théorie étant que des rayons traverseraient en plus grand nombre les cavités. Les enregistreurs fonctionnèrent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant plus d’un an jusqu’à ce qu’au début de 1969 le dernier ordinateur, un IBM 1130, fût livré à l’université pour analyser les bandes. Six mois plus tard, les savants durent s’avouer battus : la pyramide était absolument incompréhensible. Des bandes enregistrées avec le même équipement, du même endroit, plusieurs jours de suite, présentaient des types tout à fait différents de rayons cosmiques. Le directeur de l’entreprise, Amr Gohed, dans une interview donnée plus tard, déclara : « La chose est scientifiquement impossible. Appelez ça comme vous voudrez : occultisme, malédiction des pharaons, sorcellerie ou magie ; il existe une force quelconque, à l’œuvre dans la pyramide, qui défie les lois de la science. »

L’idée que la forme a une influence sur les fonctions qui s’exercent au sein de cette forme n’est pas nouvelle. Une firme française a fait breveter un récipient destiné à la fabrication du yaourt, parce que sa forme particulière renforçait l’action du micro-organisme impliqué dans le processus. Les brasseurs d’une bière tchécoslovaque essayèrent de substituer à leurs tonneaux ronds des tonneaux angulaires, mais constatèrent qu’il en résultait une détérioration dans la qualité de leur bière en dépit du fait que la méthode de fabrication demeurait inchangée. Un chercheur allemand a montré que des souris atteintes de blessures identiques guérissent plus rapidement si elles sont gardées dans des cages sphériques. Des architectes canadiens signalent une amélioration soudaine chez des schizophrènes soignés dans des services hospitaliers trapézoïdaux.

Il est possible que toutes les formes aient leurs qualités propres et que les structures que nous voyons autour de nous soient le résultat de combinaisons des fréquences de l’environnement. Au XVIIIe siècle, le physicien allemand Ernst Chladni découvrit un moyen de rendre visibles les types de vibrations. Il monta sur un violon une mince plaque métallique, répandit du sable sur la plaque, et constata que lorsqu’on tirait l’archet en travers des cordes, le sable se disposait en beaux dessins. Ces arrangements, aujourd’hui connus sous le nom de figures de Chladni, se développent parce que le sable ne se rassemble que sur les parties de la plaque où il n’y a pas de vibration. On s’en est beaucoup servi en physique afin de démontrer la fonction ondulatoire, mais elles montrent aussi très bien que des fréquences différentes produisent des motifs de formes différentes. En faisant joujou avec des poudres de densités différentes et en jouant des notes ayant un large écart de fréquences, il est possible d’amener un motif à prendre presque n’importe quelle forme. Il est intéressant, et peut-être significatif, que les figures de Chladni adoptent le plus souvent des formes organiques familières. Cercles concentriques, tels que les anneaux annuels d’un tronc d’arbre ; lignes alternées, comme les rayures sur le dos d’un zèbre ; grillage hexagonal, comme les cellules d’un rayon de miel ; rayons de roue, comme les canaux internes d’une méduse ; spirales de plus en plus petites, comme les coquillages – tout cela se présente communément. L’étude de ce phénomène, l’effet des ondes sur la matière, a reçu le nom de cymatique.

Le principe fondamental de la cymatique, c’est que les pressions de l’environnement s’exercent par propagation ondulatoire et que la matière réagit à ces pressions en prenant une forme qui dépend de la fréquence des ondes. Il existe un nombre limité de fréquences en cause et la nature a tendance à y réagir de façons prévisibles, en répétant un nombre limité de formes fonctionnelles. Le modèle en hélice d’un courant ascendant d’air chaud (un thermal) se reflète dans la croissance d’une plante grimpante enroulée autour d’un arbre et dans la disposition des atomes d’une molécule d’ADN. La raie manta flotte dans les eaux tropicales grâce à des ondes musculaires qui se déplacent par trains à travers son large dos plat comme les risées du vent à la surface de la mer. Les mollusques sans coquille et les vers plats qui vivent dans l’eau se meuvent exactement de la même façon. Devant le même problème, la nature trouvera le plus souvent la même solution. Elle ne pourrait le faire avec des matières premières aussi largement divergentes si celles-ci ne répondaient à des pressions identiques. Il y a même un exemple d’évolution convergente au niveau moléculaire chez deux enzymes, l’un provenant d’une bactérie du sol et l’autre de l’homme lesquels ont exactement la même disposition d’aminoacides à l’ « extrémité fonctionnelle ».

La récurrence d’un petit répertoire fondamental de formes ne peut être fortuite. Il y a beaucoup de variations sur des thèmes choisis, mais elles sont en général un compromis entre les pressions de l’environnement et les nécessités individuelles. Le matériel embryonnaire de la plupart des reptiles, par exemple, se trouve enclos dans l’un des empaquetages standard, une sphère parfaite, étant donné que c’est la forme qui combine le maximum de volume avec le minimum de zone superficielle et d’utilisation de matériaux. Crocodiles et tortues de mer produisent des œufs ronds à mince coquille élastique, qui doivent être enfouis dans le sol humide afin d’empêcher leur dessiccation. Les oiseaux, toutefois, ont franchi une étape évolutive de plus ; ils sont devenus relativement indépendants par rapport au terrain, et plus soucieux de soin parental. Ils gardent leurs œufs dans l’air et, pour empêcher leur dessiccation, ont élaboré une coquille plus dure, moins poreuse. Mais cela soulève un nouveau problème. L’empaquetage fragile, non élastique, est plus à même de se briser sous la pression de la gravité ; aussi les œufs de presque tous les oiseaux sont-ils aujourd’hui des sphères devenues assez pointues. Ils se sont déformés de la seule façon qui pouvait leur donner la plus grande robustesse mécanique possible sans modifications internes d’aucune espèce. La forme fondamentale a été déterminée par des pressions de l’environnement et modifiée en vue de faire face à des nécessités spécifiques.

En Suisse, au cours des dix dernières années, Hans Jenny a raffiné sur les figures de Chladni et fourni une preuve élégante que la forme est fonction de la fréquence. Une de ses inventions est le « tonoscope », lequel convertit les sons en motifs visibles, à trois dimensions, dans un matériau inerte. Cela peut s’utiliser avec la voix humaine en tant que source du son, et quand une personne prononce au microphone la lettre O, cela donne un motif parfaitement sphérique. La sphère est une des formes fondamentales de la nature, mais il est saisissant de découvrir que la forme produite par la fréquence du son O est exactement la forme que nous avons choisie afin de le représenter figurativement dans notre écriture. Cela évoque le spectre d’anciennes croyances d’après quoi mots et noms avaient des propriétés particulières. Aujourd’hui, nous avons encore tendance à considérer les noms de personnes comme quelque chose de spécial et on constate que les enfants tiennent souvent beaucoup à cacher le leur. Les jeunes enfants, en particulier, demandent toujours à savoir quel est le nom d’un objet, sans jamais douter qu’il en possède un et considèrent cette connaissance comme une acquisition précieuse. Se peut-il que les mots aient un pouvoir en vertu de leurs fréquences particulières ? Les vocables magiques, les formules et chants sacrés peuvent-ils effectivement exercer une influence qui diffère de celle d’autres sons choisis au hasard ? Il semble que oui, et avec la découverte par Jenny des formes des mots, je me surprends à considérer non sans quelque malaise et terreur sacrée l’affirmation de saint Jean : « Au commencement était le Verbe. »

En qualité de biologiste, je devrais la paraphraser en « Au commencement était le Son du Verbe », étant donné qu’il existe d’énormes variations nationales et individuelles dans les sons utilisés pour figurer oralement le même vocable écrit. L’Alphabet phonétique international résout cette difficulté en fournissant des symboles représentant la moindre nuance, de son dans la plupart des langues humaines. L’analyse de cet alphabet permet de distinguer certaines dispositions de base. Le son de la parole est produit en faisant résonner l’air dans la gorge, la bouche et les fosses nasales tout en le soumettant à des modifications variées grâce à la luette, au palais, à la langue, aux dents et aux lèvres, Il y a deux espèces fondamentales de sons : les voyelles, qui sont produites sans friction ni arrêt, et les consonnes, caractérisées par la friction, la constriction ou l’arrêt du souffle à un endroit donné du passage. Les sons vocaliques sont toujours accompagnés par la vibration des cordes vocales et possèdent beaucoup plus de puissance que les consonnes, en grande partie non voisées. La puissance des voyelles s’étend de neuf à quarante-sept microwatts, cependant que les consonnes atteignent rarement deux microwatts ; aussi les voyelles portent-elles plus loin, et sont-elles plus faciles à percevoir. La résonance du liquide de l’oreille humaine rend les sons vocaliques â, ô, ê, i, ou, dans cet ordre, les plus faciles à entendre de tous les sons parlés. (Les voyelles en swahili, sabir servant à plus de deux cents tribus d’Afrique orientale, se prononcent exactement ainsi.) Les consonnes, d’autre part, sont souvent explosives, lorsque l’air est soudain libéré de derrière un obstacle, comme dans le son « p », ou bien encore elles sont fricatives, lorsque l’air s’échappe de façon graduelle, comme dans la formation du son « s ». Elles produisent peu d’énergie, mais ont des fréquences beaucoup plus élevées que les sons vocaliques. Lorsqu’ils appellent un chat, animal destiné à réagir aux sons à haute fréquence de ses proies, les gens de toutes langues utilisent des combinaisons de ces deux consonnes à onde courte.

Ainsi les sons des mots ont-ils effectivement des propriétés physiques différentes. Si on peut produire une résonance entre une colonne d’air située dans la gorge d’un émetteur et une autre située dans l’oreille d’un receveur, des transferts similaires d’énergie peuvent avoir lieu entre la gorge et d’autres parties de l’environnement. Quand le peuple de Josué « poussa un grand cri », les murailles de Jéricho s’abattirent. Le cri brusque et sonore d’un escrimeur samouraï démoralise l’adversaire et le trille d’un soprano brise le verre. Il s’agit là d’effets soutenus, comme la chaleur accablante du soleil de midi ; mais nous savons que la vie réagit à des actions aussi faibles que celles de la Lune filtrant à travers six mètres d’eau ; aussi n’est-il pas déraisonnable de supposer que la matière vivante est sensible de façons différentes aux non moins subtils changements et types de fréquences du langage humain.

Les linguistes n’ont pas résolu les problèmes des origines du langage. Les idées sont nombreuses, dont certaines ont des noms pittoresques, comme la théorie du « ouâ-ouâ » qui prétend que le langage est né par imitation des sons qui se produisent dans la nature, ou la théorie du « ho hisse », déclarant qu’il provient des grognements dus aux efforts physiques. Il ne semble pourtant pas qu’il ait existé la moindre tentative concertée en vue de rechercher des origines biologiques parmi les sons fondamentaux de l’alphabet phonétique. La démonstration par Jenny que le son « oh » possède une forme sphérique est spectaculaire, mais ne devrait pas nous surprendre. Elle donne un sentiment de justesse. Nous arrondissons la bouche afin de produire le son arrondi, et ce faisant, jusqu’à nos yeux s’arrondissent. Un visage émettant le son « oh » fait aussi l’expression qu’utilisent la plupart des primates pour indiquer la menace agressive. Les observateurs du comportement animal supposent que cette grimace est née de diverses postures corporelles de compromis qui se présentent en des situations de menace, et que ladite expression s’accompagne d’un grognement sonnant comme un « oh » dur afin d’en renforcer l’effet. Mais il se peut également que le son soit venu en premier et ait produit la grimace, et, en poussant plus avant, que le son lui-même ait été adopté parce qu’il avait pour effet de désorienter un adversaire. Ses fréquences provoquaient une résonance, incluant peut-être des infrasons, d’une qualité telle qu’elle s’entremêlait avec les ondes cérébrales de l’adversaire et le mettait en fuite de panique. Les Japonais ont développé cet emploi du son jusqu’à l’art du cri de guerre, ou kiaï, du samouraï. On dit qu’un kiaï dans un ton mineur provoque une paralysie partielle en vertu d’une réaction qui abaisse brusquement la pression artérielle. Un ton majeur, s’il est sonore et soudain, a certainement l’effet contraire.

La musique fournit un autre exemple d’ondes espacées de manière intentionnelle. Donald Andrews a incorporé le mouvement harmonique au sein d’une complexe théorie de l’univers qu’il nomme la « symphonie de la vie ». En ce système, les atomes fournissent les notes musicales, chacun vibrant comme une cloche sphérique. Les molécules sont des accords composés de dispositions régulières de ces notes, et la musique se trouve jouée sur des instruments dont l’organisme lui-même fournit la forme. Andrews a montré que même un violon reposant immobile sur une table est toujours en train de fredonner doucement pour lui-même, et croit la chose vraie de toute matière. Les muscles sous tension produisent certainement un son audible. En une expérience pleine d’imagination, Andrews fit le tour du musée de Baltimore en frappant avec un marteau des statues de bronze et de marbre, et en enregistrant les sons sur une bande à grande vitesse, dans l’espoir de capter les vibrations essentielles caractéristiques de leurs formes. Ce qu’il découvrit en réalité, c’est que des formes identiques, dans la proportion de taille de deux contre un, donnaient le même son fondamental, mais à une octave de distance. C’est exactement l’effet que l’on obtient en divisant en deux la longueur d’une corde de violon, ce qui suggère que des objets à trois dimensions pourraient opérer sur la base des mêmes principes musicaux.

Le cosmos est plein de « bruit », méli-mélo irrégulier de longueurs d’ondes, mais tous ses signaux utiles sont des motifs réguliers. Les combinaisons de notes musicales choisies au hasard nous portent sur les nerfs ; nous les trouvons désagréables. En revanche, les sons qui présentent entre eux certains intervalles réguliers sont harmonieux ; nous les trouvons agréables. Une note jouée en même temps qu’une autre qui possède exactement le double de fréquence, c’est-à-dire une octave plus haut, rend un son très harmonieux. Trois notes vont bien ensemble en tant qu’accord si leurs fréquences relatives sont dans la proportion 4-5-6. Il s’agit là de relations purement mathématiques, mais nous savons par expérience qu’il s’agit de celles à quoi réagit l’homme. On joue actuellement de la musique à des animaux dans les fermes et les zoos, avec des effets pareillement marqués. Les préférences diffèrent d’une espèce à l’autre, vraisemblablement parce que leur structure et leur sensibilité, et par conséquent leurs fréquences de résonance, sont différentes. Des recherches sont en cours aujourd’hui quant à l’effet de la musique sur les plantes. On a découvert que les géraniums poussent plus vite et plus haut sur l’accompagnement des Concertos brandebourgeois de Bach. Si les fréquences qui prédominent dans ces morceaux de musique sont diffusées aux plantes, elles ont un certain effet, mais la croissance est plus marquée si les fréquences se produisent dans la relation spatiale conçue avec tant de soin par le compositeur. Les bactéries sont affectées de la même façon, se multipliant sous l’influence de certaines fréquences, et mourant lorsqu’on les soumet à d’autres. Il n’y a pas un grand pas à franchir de cette découverte à la vieille idée que la fréquente répétition de certaines psalmodies ou de certains chants pouvait guérir les maladies.

Il existe d’autres relations spatiales qui exercent un effet sur nous. Les artistes savent depuis des siècles que certaines proportions sont plus agréables que d’autres. Si l’on montre à des gens un grand nombre de quadrilatères allant du carré à un très long rectangle mince, la plupart d’entre eux choisiront une forme dont la longueur est un peu plus d’une fois et demie la largeur. Cette proportion que la plupart des gens trouvent la plus agréable est nommée le nombre d’or ; ses dimensions exactes ont été établies comme étant de 1 sur 1,618. Bien qu’il y ait d’énormes différences entre les arts traditionnels des différents peuples, il semble que chez tous les goûts esthétiques soient gouvernés par des lois fondamentales similaires. Une étude effectuée à Londres a constaté des similitudes interculturelles quant à la couleur et au dessin dans des tests pratiqués à une large échelle sur des étudiants britanniques et japonais. Notre réaction aux proportions est vraisemblablement gouvernée par la distance commune entre nos yeux. Un borgne de naissance, qui n’aurait jamais connu la vision binoculaire, trouverait sans doute un carré plus agréable. Nous savons que les gens qui n’ont qu’un œil ont un développement inégal d’une moitié du cerveau et que cela se reflète dans leurs ondes cérébrales. Ayant des rythmes différents, ils répondent à des fréquences différentes.

À la suite des découvertes sur la nature de la lumière, du magnétisme et de l’électricité au dix-neuvième siècle, la théorie d’un « univers en vibration » devint très populaire dans les milieux occultistes ; c’est pourtant Pythagore qui, au cinquième siècle avant Jésus-Christ, développa le premier cette idée. La notion que tout l’univers est lié dans un grand dessein a toujours été un des fondements de la magie et les pythagoriciens se servaient de la relation mathématique des intervalles musicaux pour exprimer numériquement cette disposition. Les pythagoriciens furent les premiers numérologistes professionnels. Les adeptes des systèmes numériques signalent les sept couleurs de l’arc-en-ciel, les sept jours de la semaine, les sept sceaux de la chrétienté, les sept Dévas de l’hindouisme, les sept Amshaspends de la foi perse, et ainsi de suite, revendiquant des propriétés occultes pour ce nombre et d’autres nombres particuliers. Goethe avait l’obsession du trois, Swoboda ne jurait que par le vingt-trois, et Freud croyait à des périodes de vingt-sept. Il est difficile de voir dans aucun de ces intervalles une signification biologique et il est tentant de rejeter l’idée entière en alléguant que tout nombre en vaut un autre, mais il semble que cela ne soit pas vrai.

Un mathématicien américain s’aperçut que les premières pages des tables de logarithmes de la bibliothèque de son université étaient plus sales que les dernières, indiquant par là que les étudiants en sciences, pour une raison inconnue, avaient plus souvent l’occasion de calculer avec des nombres commençant par 1 qu’avec tout autre. Ce mathématicien fit une collection de tableaux et calcula la fréquence relative de chaque chiffre de 1 à 9. En théorie, ils devraient apparaître avec une égale fréquence ; toutefois, notre mathématicien constata que 30 % des nombres étaient 1, tandis que le 9 n’occupait que 5 % de la place. Telles sont presque exactement les proportions données à ces nombres dans la graduation d’une règle à calcul logarithmique ; donc, ceux qui conçurent cet instrument reconnaissaient nettement l’existence de pareille tendance. L’écologiste Lamont Cole travailla sur une publication de la Rand Corporation qui donne un million de chiffres au hasard. Il choisit des nombres à intervalles réguliers, représentant le niveau d’activité métabolique d’une licorne de mer à la fin de chaque heure sur une longue période. Il n’aurait pas dû exister de rapport entre les nombres, non plus que la moindre espèce de courbe cyclique ; et pourtant, on doit à Cole la fracassante découverte zoologique que les licornes sont le plus actives à 3 h du matin.

Il se peut que ces divergences proviennent d’une particularité quelconque dans notre façon de compter ; cependant, il semble que la tendance suive une loi naturelle. La nature paraît compter de manière exponentielle. Non pas 1, 2, 3, 4, 5, mais 1, 2, 4, 8, 16, les nombres croissant chaque fois par un pouvoir logarithmique. La population augmente ainsi, et même à un niveau individuel les phénomènes comme la force d’un stimulus et le niveau de réaction à ce stimulus varient sur un mode exponentiel. Il ne s’agit pourtant là de rien de plus qu’une observation ; cela n’explique pas la manière anormale dont se comportent les nombres.

Le groupement inattendu de nombres similaires est quelque chose, comme le groupement insolite de circonstances que nous appelons coïncidence. Tout le monde a fait l’expérience de rencontrer pour la première fois un mot ou un nom nouveau, puis de le voir dans une douzaine d’endroits différents, en rapide succession. Ou de se trouver dans un petit groupe de gens dont trois sont nés le même jour. Souvent, ces coïncidences arrivent par groupes : certains jours sont particulièrement chanceux, tandis que par d’autres les choses se traînent tout bêtement à la queue leu leu. Plusieurs personnes ont consacré une partie du travail de leur existence à recueillir des renseignements sur les coïncidences de cet ordre. Le biologiste Kammerer fut du nombre et c’est lui qui donna le nom de sérialité au phénomène. Kammerer définit une série comme « une apparition légitime de choses ou d’événements identiques ou similaires… qui ne sont pas reliés par la même cause active », et prétend que la coïncidence constitue en réalité le résultat d’un principe naturel. Kammerer a passé des journées entières simplement assis dans des endroits publics, à coucher par écrit le nombre des gens qui passaient, la façon dont ils s’habillaient, ce qu’ils transportaient, etc. À l’analyse de ces notes, il s’aperçut qu’il y avait des groupements typiques de choses qui se produisaient ensemble, puis disparaissaient tout à fait. Ce genre de courbe ondulatoire au sein des événements est familier à tous les agents de change, à tous les joueurs et toute compagnie d’assurances fait reposer sur des tables similaires de probabilité le système entier de ses polices. Ces groupes de « coïncidences » constituent un véritable phénomène. Kammerer les explique par sa Loi de sérialité qui dit que, opérant en opposition à la seconde loi de thermodynamique, il existe une force qui tend vers la symétrie et la cohérence en réunissant ce qui se ressemble. À sa façon bizarre, illogique, une telle idée est assez convaincante ; il n’existe néanmoins aucune bonne preuve scientifique à son appui et cette théorie n’a pas grande importance pour nous ici. Il suffit de savoir qu’il existe une organisation discernable des événements. Outre l’harmonie musicale et artistique, le caractère non fortuit des nombres et la périodicité des mouvements planétaires, nous commençons d’obtenir l’image d’un environnement comportant des motifs reconnaissables. Superposés au chaos cosmique, il y a des rythmes et des harmonies commandant maints aspects de la vie sur terre au moyen d’une communication d’énergie rendue possible par la forme des objets d’ici-bas et leur résonance en accord avec des thèmes cosmiques.

La biophysique

Tous, nous sommes sensibles aux forces physiques qui nous entourent et il semble qu’il y ait des moyens d’accroître cette sensibilité. L’un se trouve en usage depuis cinq mille ans au moins. Des bas-reliefs de l’Égypte ancienne montrent des silhouettes aux coiffures étranges, portant à bout de bras devant elles un bâton fourchu ; et l’empereur Kouang Sou de Chine est représenté, par une statue datant de 2200 av. J.-C, porteur d’un objet identique. Dans les deux cas, semble-t-il, l’objet de la recherche était l’eau.

Beaucoup d’animaux ont à l’eau une extraordinaire sensibilité et certains, comme l’éléphant, réussissent à la trouver sous terre. En époques de sécheresse, les éléphants rendent souvent des services vitaux à la communauté en fouissant la terre de leurs défenses et de leurs pieds afin de mettre au jour des sources d’eau cachées. Il se peut que les éléphants soient capables de humer l’eau qui filtre à travers le sol ou qu’ils en soient venus à posséder une assez élémentaire connaissance de la géologie, creusant toujours au point le plus bas de la courbe externe d’un lit desséché de cours d’eau, à l’endroit où l’eau a le plus de chance de se rassembler. Il y a pourtant des cas où aucune de ces deux solutions n’est envisageable ; reste l’éventualité de l’utilisation de quelque autre sens. Comme la surface de la Terre, les deux tiers de la plupart des animaux sont constitués par de l’eau. L’une des conditions préalables pour la résonance est qu’il existe des structures similaires, ou du moins compatibles, chez l’émetteur et le receveur ; si donc l’énergie est émise par une source d’eau, elle devrait pouvoir trouver une réponse dans le corps de la plupart des mammifères. Notre matière cérébrale est formée de 80 % d’eau, ce qui la rend plus liquide encore que le sang ; aussi la résonance pourrait-elle avoir lieu là ; pourtant, la réaction semble être le plus manifeste dans les muscles longs du corps.

La méthode classique pour deviner l’eau, ou faire de l’hydroscopie, consiste à couper un rameau fourchu d’un arbre d’ombrage comme le saule, le coudrier ou le pêcher, et de le tendre au-devant du corps, parallèle au sol. En cette position, les muscles du bras sont soumis à une certaine tension ; on prétend qu’à mesure que le sourcier s’approche de l’eau, cette tension s’étend jusque dans le rameau et le fait se mouvoir. Les types de mouvement dépendent beaucoup de l’individu. Certains déclarent qu’un brusque mouvement vers le haut de la baguette de sourcier indique la direction vers l’amont d’un cours d’eau, et que le dessin de sa giration indique la profondeur, mais d’autres sont en complet désaccord. Il y a chez les sourciers une considérable variété dans la technique. Les instruments en usage comprennent des baguettes de métal, des portemanteaux, des baleines, des fils de cuivre, des cannes, des fourches, des bandes de bakélite, des ciseaux chirurgicaux, des pendules, et même, dit-on, une saucisse allemande. Pour chaque instrument de sourcier, il y a autant de façons différentes de le tenir et d’interpréter la manière dont il se meut. Une seule chose écarte du domaine de la farce pure et simple cette extraordinaire pantomime : les sourciers jouissent d’une proportion très élevée de réussite.

Aux États-Unis, toute importante société qui s’occupe d’eau et de canalisations a dans son personnel un sourcier. Le ministère canadien de l’Agriculture en emploie un à titre permanent. L’Unesco a engagé un sourcier et géologue hollandais pour mener des recherches officielles. Des ingénieurs appartenant aux première et troisième divisions de Marines au Viêt-nam ont été entraînés à se servir de baguettes de sourcier pour localiser les mines et les bombes enfouies. Une unité spéciale de l’armée tchécoslovaque a un corps permanent de sourciers. Les départements de géologie des universités de l’État de Moscou et de Leningrad ont entrepris une enquête à large échelle sur l’hydroscopie – non pour découvrir si cela fonctionne, mais comment cela fonctionne. Il y a visiblement quelque chose là-dedans.

Les recherches sérieuses sur l’hydroscopie semblent avoir débuté en France en 1910. Elles furent instaurées en grande partie par le vicomte Henri de France, qui publia Le Sourcier moderne, et fut, en 1933, partiellement responsable de la fondation de la Société britannique des sourciers. La recherche dans les deux pays se résume en deux livres, The Divining Rod [La Baguette divinatoire] et The Physics of the Divining Rod [La Physique de la baguette divinatoire], intéressants, mais qui montrent nettement les limites des recherches privées à petits moyens. Qu’elles soient menées sans contrôle sérieux et maladroitement publiées permet à la plupart des savants occidentaux de se désintéresser totalement du sujet, mais en Russie les recherches sur l’hydroscopie jouissent maintenant du soutien de l’État, et c’est là que les plus grands progrès sont en train de s’effectuer.

Ces recherches ont commencé quand une commission officielle a désigné de célèbres géologues et hydrologues pour travailler conjointement avec des sourciers de l’Armée rouge. Après des milliers de tests, la commission a rapporté que les rameaux fourchus réagissaient, tant à des sources d’eau souterraines qu’à des câbles électriques, avec une force atteignant 1 000 centimètres-grammes. On constata que si vite que marchât le sourcier, ou si soigneusement qu’il fût isolé par des plaques d’acier ou par une armure de plomb, les baguettes continuaient de réagir. Le rapport mentionne aussi que les rameaux n’étaient efficaces que durant deux ou trois jours, et qu’un rameau brisé ne pouvait être réparé sans perte de sensibilité. Dans certains des tests, du plomb, du zinc et de l’or furent détectés à une profondeur de 75 mètres et la commission conclut que la radiesthésie pouvait servir avec un succès frappant à localiser sous terre des câbles électriques, des tuyaux, des points endommagés dans les réseaux de câbles, des minéraux et de l’eau. On proposa de renoncer au vieux nom russe qui signifiait « baguette de magicien » ; aussi, aujourd’hui, les recherches sur la radiesthésie se poursuivent-elles sous le nom plus sûr, neuf, démythifié, de « Méthode des effets biophysiques ».

En 1966, un minéralogiste de Leningrad, Nikolaï Sotchévanov, dirigea une expédition dans la région kirghize, près de la frontière russo-chinoise. On commença par un survol à bord d’un avion équipé d’un magnétomètre du genre utilisé par les sociétés minières en vue de la prospection aérienne. Dans l’avion se trouvaient Sotchévanov et plusieurs autres « opérateurs », avec des baguettes de sourcier toutes prêtes. En survolant le fleuve Tchou, ils constatèrent que la vaste quantité d’eau, au centre du fleuve, n’avait aucun effet, mais que tous pouvaient ressentir une pression sur les baguettes à proximité des rives, des deux côtés. Des tests effectués en d’autres parties du monde ont donné des résultats similaires et il semble vrai que l’eau influence le plus fortement l’homme non point là où une large masse se meut à grande vitesse, mais là où l’eau se trouve en friction avec le sol, en particulier là où la surface de sol en contact avec l’eau est étendue, ainsi que c’est le cas dans un terrain saturé d’eau qui se déplace avec lenteur à travers de minuscules capillaires. En survolant des gisements minéraux connus, Sotchévanov obtint des réactions marquées et, au cours d’expériences de complément pratiquées au sol, son équipe décela un gisement de plomb épais seulement de huit centimètres, à une profondeur d’environ cent cinquante mètres.

Avec des gisements plus importants à proximité de la surface, ils constatèrent que les baguettes leur sautaient tout bonnement des mains ; aussi Sotchévanov conçut-il un nouvel instrument d’acier, capable de tourner librement. Il est en forme d’U, avec aux extrémités des poignées mobiles, écartées d’une soixantaine de centimètres, et une boucle de 20 centimètres enroulée au centre de la courbe. Sotchévanov prétend que le nombre des tours effectués par la baguette fournit une indication quant à la profondeur et à la dimension du gisement souterrain, et il a fabriqué un système d’enregistrement automatique fixé à l’instrument, qui note son comportement. Des tests effectués sur une large échelle avec des centaines d’opérateurs ont permis de tracer des coupes de régions entières de territoire. Un survol de ce genre a été accompli le 21 octobre 1966 dans une région proche d’Alma-Ata, où trois millions de mètres cubes de roc devaient être détruits par des explosifs en exécution d’un plan d’aménagement. L’équipe couvrit ce site juste avant l’explosion et revint aussitôt après pour effectuer un second examen. Les baguettes signalèrent d’énormes transformations dans la disposition du sous-sol et pendant quatre heures à la suite de l’explosion, la forme des courbes continua de se modifier tandis qu’ils les dessinaient. Enfin elles se stabilisèrent et quand les sismographes indiquèrent que les secousses avaient cessé, les sourciers constatèrent que le schéma était presque revenu à sa configuration d’avant l’explosion. Les petites différences entre les images « avant » et « après » se révélèrent ensuite, à l’excavation, dues à des fractures souterraines produites par l’explosion.

Sotchévanov effectua des tests sur le terrain avec des sourciers opérant à l’intérieur de véhicules en mouvement, leurs systèmes enregistreurs liés à l’arbre de transmission. Il constata que les baguettes continuaient de réagir, mais qu’à des vitesses plus grandes leurs révolutions étaient plus rares. L’existence d’une réaction au sein d’un véhicule métallique semble indiquer que l’énergie en question n’est pas électrique et tout essai de renforcer l’arrivée des signaux en attachant de longues antennes de métal aux poignets des sourciers n’est parvenu jusqu’ici qu’à diminuer la réaction. Des aimants puissants liés au dos des opérateurs n’ont eu aucun effet, mais des gants de cuir ont supprimé complètement la réaction. Bien que des groupes de sourciers attachés les uns aux autres n’aient présenté aucun effet cumulatif, quand un sourcier aguerri touchait la main d’un profane, la baguette prenait vie entre les mains du novice.

Les expériences effectuées en tous pays suggèrent que, quelle que puisse être la force radiesthésique, elle ne saurait opérer sur la seule baguette. Un être vivant doit jouer le rôle d’« intermédiaire ». Le géologue hollandais Solco Tromp a montré que les sourciers sont d’une sensibilité peu commune au champ magnétique terrestre et réagissent à des modifications du champ que l’on peut vérifier au magnétomètre. Tromp a découvert aussi qu’un bon sourcier peut détecter un champ artificiel n’ayant qu’un deux-centième de la puissance du champ terrestre et qu’il peut se servir en laboratoire de sa baguette afin d’en relever l’étendue. Des sourciers testés au Laboratoire de physique de Paris furent capables de déterminer si un courant électrique était branché ou débranché uniquement en passant devant une bobine à un mètre de distance, leurs baguettes en main. À l’université de Halle, on a découvert que les sourciers manifestent un accroissement de la pression sanguine et de la vitesse du pouls dans certains champs. Les savants soviétiques divisent tous les gens en quatre groupes fondamentaux d’après la façon dont la baguette de sourcier les « voit ». Elle est attirée vers le premier groupe, lequel inclut toutes les femmes (qui présentent en radiesthésie un taux de réussite de 40 % plus élevé que les hommes). Le groupe deux consiste en hommes qui repoussent complètement la baguette, alors que ceux des deux derniers groupes la repoussent respectivement à partir des épaules et de la taille. Des cartes de polarité du corps humain, établies par Tromp au moyen d’un électrocardiogramme, confirment ce groupement.

L’existence de champs radiesthésiques, zones où les sourciers obtiennent des réactions puissantes, a été confirmée grâce à des magnétomètres protoniques, suffisamment sensibles pour mesurer le champ magnétique d’un atome. Des expériences effectuées sur les champs qui se présentent dans la nature ont donné d’intéressants résultats. Des souris placées dans un enclos allongé situé pour moitié sur une zone radiesthésique et pour moitié en dehors ont refusé de dormir à l’intérieur du champ. Les concombres, le céleri, les oignons, le maïs, les haies de troènes et les frênes ne pousseront guère en un sol situé au-dessus d’une zone radiesthésique. On dit que les fourmis construisent toujours leur nid en plein dans une zone et que les abeilles essaiment sur des branches situées au-dessus d’un champ. On a également émis l’hypothèse que les rhumatisants ressentent des contractions musculaires et des douleurs articulaires au sein d’un champ produit par l’eau et que les puissantes zones radiesthésiques de toute espèce ont un mauvais effet sur la santé humaine. La littérature radiesthésique regorge d’incidents impliquant des « rayons néfastes » et des « radiations nuisibles », que l’on peut minimiser en écartant tel siège ou tel lit de la zone funeste, ou bien en plantant de complexes bobines de fil de cuivre à l’intérieur du champ pour le « neutraliser ». Il est très malaisé de juger ces rapports avec objectivité, et d’évaluer l’importance du rôle joué par la suggestion dans les prétendues guérisons ; pourtant, le fait subsiste qu’un électrocardiographe relié même au corps d’un non-sourcier enregistre une différence de potentiel au moment où la personne pénètre dans une zone radiesthésique.

La littérature abonde aussi en comptes rendus sur la localisation par des sourciers de personnes disparues, de criminels et de cadavres en suivant les indications d’une baguette « sensibilisée ». Il s’agit le plus souvent d’un pendule à lentille creuse, contenant quelque chose qui appartient à la personne recherchée, ou d’un pendule « accordé » en le tenant au-dessus d’un objet témoin pour déterminer la longueur du fil en vue de produire la bonne réaction. Cette technique a remporté maints succès fameux, objets d’une large publicité, les plus impressionnants étant ceux où le sourcier localise sa proie en travaillant non sur le terrain mais sur la carte à grande échelle d’un territoire qui ne lui est pas familier. Pour autant que l’on puisse en juger d’après des rapports qui sont rarement scientifiques, sur des événements qui de par leur nature même ne sont pas répétables, la méthode fonctionne. Ayant quelque notion de l’influence de la forme sur la fréquence, on peut imaginer que les formes à deux dimensions des cartes ou des photographies possèdent certaines propriétés similaires à celles des objets réels, bien que l’esprit renâcle à cette idée.

Cette technique : l’utilisation d’un pendule pour rassembler des renseignements non seulement sur la localisation d’un objet, mais encore sur son caractère, est connue sous le nom de « radiesthésie » – ce qui veut dire sensibilité à des radiations. Elle sert, entre autres, à la détection du sexe. Les Japonais ont toujours été des experts dans l’art malaisé de déterminer le sexe de poussins du jour, mais ils sont maintenant en mesure de le faire avant même l’éclosion de l’œuf, sans autre assistance qu’une perle au bout d’un fil de soie. Les œufs défilent devant l’expert sur une courroie de transmission, leurs axes longitudinaux dans la direction nord-sud. La perle, tenue au-dessus de la chaîne, se balance le long du même axe si l’œuf est stérile, décrit un cercle dans le sens des aiguilles d’une montre pour un coq, et dans le sens opposé pour une poule. Ces entreprises revendiquent pour ce système un taux de réussite de 99 %. On trouve en Angleterre des spécialistes capables, semble-t-il, de déterminer de la même façon le sexe des humains quand on ne leur fournit qu’une goutte de sang ou de salive sur un morceau de papier buvard. On les a utilisés plusieurs fois pour assister les laboratoires de police judiciaire dans les enquêtes criminelles.

Il est très facile de déclarer, comme le font les radiesthésistes : « Toute matière émet un rayonnement, et le corps humain, jouant un rôle très voisin de celui d’un poste récepteur de radio, le capte. » Néanmoins, les affirmations spécieuses de ce genre ne disent absolument rien sur le processus ou la biologie en cause. La somme totale de connaissances précises sur la radiesthésie paraît s’élever à ceci : « L’eau, par l’action du frottement entre elle-même et le sol, crée un champ qui paraît avoir des propriétés électromagnétiques. Le caoutchouc et le cuir isolent ce champ, mais les métaux semblent n’avoir aucun effet. Les métaux eux-mêmes, peut-être grâce à leur position dans le champ magnétique terrestre, produisent également un effet de champ. Les champs créés ou modifiés par des objets inorganiques sont perceptibles par certains animaux et certaines personnes. On peut rendre manifeste une sensibilité inconsciente à ces champs en utilisant un objet tel qu’une baguette ou un pendule en tant qu’indicateur visible de la force et de la direction du champ. »

L’homme emploie depuis si longtemps des techniques de sourcier qu’il est probable que des animaux sont capables de faire de même. Antilopes et cochons sauvages ont des cornes et des défenses incurvées, de forme similaire au rameau fourchu traditionnel, et ces deux espèces sont fort expertes à trouver des sources d’eau cachées. Se pourrait-il que leurs baguettes de sourcier naturelles les aident d’une façon ou d’une autre ? Les meilleurs sourciers humains peuvent opérer à mains nues ; aussi est-il possible que même des animaux sans antennes puissent s’orienter de la sorte. Pour autant que je le sache, aucun observateur de la migration des oiseaux n’a jamais envisagé cette possibilité. Si le rameau de saule fonctionne entre les mains de l’homme, comment fonctionne-t-il attaché à l’arbre ? Les racines d’arbres sont positivement géotropiques – elles poussent droit vers la source de gravité –, mais elles recherchent aussi des sources d’eau. Peut-être le font-elles par hydroscopie ?

La découverte que les animaux sont sensibles au champ radiesthésique et y réagissent fortement ne surprendra quiconque a jamais observé un mammifère sauvage en train de s’installer pour dormir. Le choix d’un lieu de repos doit bien sûr être effectué avec grand soin, eu égard à la chaleur, à l’abri, à la sécurité par rapport aux prédateurs ; mais souvent l’animal choisira un endroit qui paraît bien moins séduisant à ces égards qu’un autre situé seulement à une courte distance. Chiens et chats domestiques manifestent le même comportement et leurs propriétaires savent parfaitement qu’il est inutile de prendre cette décision pour le compte de leur compagnon – ils doivent attendre que l’animal ait choisi sa propre place, puis y mettre le panier à dormir. Il y a des endroits où un animal ne couchera sous aucun prétexte. Que les humains aient des facultés similaires a été montré par Carlos Castaneda en un récent livre sur les croyances des Yaqui, l’ouvrage d’ethnographie le plus vivant et le plus révélateur que j’aie jamais lu. Le sorcier Don Juan a dit à Castaneda qu’il existe sur la véranda de sa maison un endroit unique où il se sentira heureux et fort et qu’il doit trouver par lui-même. Castaneda essaie pendant des heures, s’asseyant partout à tour de rôle et même se roulant par terre ; mais rien ne se produit jusqu’à ce qu’il concentre son regard sur un point situé droit devant lui ; alors, le monde entier, vu du coin de l’œil, devient jaune verdâtre. Puis, « … soudain, en un point proche du milieu du sol, je pris conscience d’un autre changement de teinte. À un endroit situé à ma droite, toujours à la périphérie de mon champ de vision, le jaune verdâtre devint d’un violet intense. Je concentrai mon attention dessus. Le violet s’affaiblit en une couleur pâle, mais encore brillante, qui resta fixe aussi longtemps que je maintins dessus mon attention ». Castaneda résolut de se coucher à cet endroit, mais, dit-il, « j’éprouvais une insolite appréhension. Cela ressemblait davantage à la sensation physique de quelque chose qui me pesait sur l’estomac. Je bondis sur mes pieds et d’un seul mouvement battis en retraite. Sur ma nuque, les cheveux se hérissaient. Mes jambes s’étaient légèrement arquées, mon torse était plié en avant, et j’avais les bras tendus devant moi, tout roidis, les doigts contractés comme des griffes. Je m’aperçus de mon étrange posture, et ma frayeur augmenta. Involontairement je reculai, et… m’affalai par terre ». Il avait trouvé sa place.

En 1963, un Sud-Africain de douze ans nommé Pieter van Jaarsveld acquit une célébrité mondiale en tant que « le jeune garçon aux yeux à rayons X » en raison de son aptitude à détecter de l’eau cachée profondément sous terre. Il n’utilisait aucune espèce de baguette de sourcier, mais se prétendait capable de voir l’eau « luire comme un clair de lune vert » à travers la surface du sol. Pieter fut très surpris d’apprendre que les autres gens ne pouvaient pas la distinguer aussi bien. Je pense que bientôt, à mesure que nous commencerons de nous rendre compte que la nature et les cinq sens classiques ne sont qu’une petite partie de la magie réelle de la Surnature, un plus grand nombre d’entre nous se joindront à lui pour voir les choses telles qu’elles sont réellement.